L’école est une église (une série de 5 articles)

Église/école de Walnut grove (La petite maison dans la prairie)

Introduction : Les pierres de l’église (1/5)

Il existe plusieurs raisons d’envoyer chaque matin son enfant à l’école mais aucune ne concerne son éducation. Le lecteur attentif comprendra mieux mon propos s’il ne perd pas de vue que l’école dont il s’agit ici est celle que l’on qualifie de traditionnelle ou classique voire d’alternative, en somme de toutes ces écoles organisées par l’adulte. Les écoles démocratiques, les centres d’apprentissage libre échappent en majeure partie aux observations critiques qui seront présentées dans cette série d’articles. Après bien des années de réflexions et de discussions sur l’aventure éducative, j’ai solidement enraciné en moi une conviction : arguer que l’école est un lieu voué à l’émancipation des enfants relève de la croyance sociale et cette croyance est tout à fait comparable à une foi n’ayant jamais à faire la preuve de son ancrage dans la réalité. Aucun fidèle n’a véritablement besoin d’une manifestation divine tangible, de résultats palpables, pour fréquenter temples, mosquées, synagogues… ou écoles.

Qu’on me comprenne bien, je n’ai rien contre les croyances, chacun est libre d’entretenir les siennes et de les vivre dans son quotidien. Imaginer d’ailleurs que l’on puisse vivre dans un monde débarrassé de toute forme de croyance serait une illusion, et à bien des égards nous réserverait un avenir désenchanté. Mais il faut se méfier des croyances non assumées voire inconscientes. Un chrétien ou un musulman, sait qu’il l’est. Et nul ne peut lui contester ce choix de croire. Mais la croyance inconsciente dans cette église que représente l’école est néfaste tant qu’elle se pare d’évidence, de normalité, d’allant de soi, contestant silencieusement, ce qui n’empêche pas l’intransigeance, ceux qui ne partageraient pas la même foi. Le croyant inconscient est en cela beaucoup plus militant que l’adepte déclaré.

Pour bien comprendre mon propos il est important de séparer la question de l’école en deux parties distinctes. D’une part, l’organisation scolaire avec ses modalités, ses technicalités, ses micro-débats internes auxquels tellement d’autres se consacrent mais qui ne sont pas mon sujet ici. D’autre part, la raison, le bienfondé, le but du déploiement scolaire. En d’autres termes je vous invite à ne pas envisager la réalité scolaire seulement par ses aspects exécutifs, par les moyens qu’elle déploie autour de l’enfant et entre ses membres, mais d’interroger plus fondamentalement l’origine de toute cette organisation. Se laisser aveugler par le « comment l’école fonctionne? » pourrait nous éloigner du sujet principal : « pourquoi l’école? ». Au lieu de questionner comment se déroule la vie autour de l’enfant, il convient de se demander pourquoi tant de murs, tant d’emplois du temps, de programme, d’autorité… Si les parents, les enseignants et mêmes les enfants ne remettent pas en cause le bienfondé de l’école, comme les fidèles de la paroisse ne s’interrogent pas sur l’existence d’un dieu, ne devient-il pas d’autant plus urgent de le faire?

Bien sûr les professeurs font ce qu’ils peuvent, ils ont le sentiment d’œuvrer pour une juste cause et dans le bon sens de l’histoire. Ils dépassent bien souvent leurs heures et acceptent des conditions hiérarchiques parfois difficiles. Cependant, on pourra constater que dans toute communauté humaine on trouvera sans peine des engagements, des bonnes volontés, des bénévolats, des échanges, des solidarités entre les membres. Autant d’énergie peut effectivement exister dans une école, mais tout aussi bien dans n’importe quel groupe, club, confrérie, paroisse. L’implication des paroissiens n’est pas la preuve de l’existence divine. L’agitation relationnelle des membres est insufflée, reproduite et entretenue par un discours, une liturgie dont il faut interroger le bien fondé. Le dévouement des fidèles est un fait insuffisant pour expliquer les raisons du déploiement ecclésiastique, il en est un effet, non la cause.

Passer huit heures par jour dans une école ou y envoyer son enfant est un acte de foi, que l’on soit parent ou enfant, professeur ou directeur. Je veux montrer ici que le dispositif scolaire ne peut garantir ce qu’il prétend offrir et que, bien au contraire, il s’emploie quotidiennement à empêcher la réalisation de ses promesses d’autonomie et de développement harmonieux chez l’enfant. Je prétends que quiconque voulant porter sur l’école un regard impartial pourra très facilement constater que rien dans l’organisation scolaire ne peut amener à l’émancipation. Continuer de le murmurer dans le tréfonds de la conscience sociale à la manière d’un mantra en pensant que cette supplique garantira son avènement, relève de l’irrationnel. Par exemple, prétendre rendre un enfant autonome en organisant systématiquement pour lui son temps, son espace, son activité est un paradoxe insurmontable à toute raison commune. Si un ami vient me rendre visite pour découvrir Montréal et que je lui dis « je veux tout faire pour que tu sois autonome dans ta découverte, je t’ai donc organisé un programme à la minute près, j’ai prévu chacun des lieux et chacune des activités que tu feras pendant ton séjour ». Cet ami pourrait être surpris et avec raison. Mais ce bon sens commun ne semble pas ébranler la foi des croyants et l’école prétend l’autonomie en verrouillant dans les faits toute initiative n’ayant été préalablement prévue ou encadrée par un adulte. Il est donc essentiel de déconstruire les évidences et de montrer comment la foi scolaire égare les mieux intentionnés et finit par desservir le projet éducatif d’une société.

6 réponses sur “L’école est une église (une série de 5 articles)”

  1. AH ton article tombe à point, je suis justement en train de lire Yvan Illich qui fait ce parallèle école/église en 1971 !! (Syncronicité…) Quel visionnaire ce mec et toi quel vulgarisateur !! Merci de prendre le temps de développer cette idée pour nous. J’ai le sentiment que ça met en lumière le lien pernicieux qui unis la nouvelle loi sur la laicité et les politiques de scolarisation intensives de la CAQ. J’ai hâte de lire la suite.

  2. Je suis d’accord avec vous. Je suis curieuse de savoir comment un enfant se rend autonome dans votre perspective, à partir de votre vécu. J’ai été un enfant sans filet (sans parents) et ça m’a rendu énormément autonome. Moralement discutable, légalement répréhensible. Mais, je suis contente du résultat, quoique d’avoir eu une formation venant de mes parents, ma vie serait beaucoup plus riche aujourd’hui. Dans un autre sens, la nature fut ma mère, elle m’a apporté une incroyable richesse. Je serai jamais capable de donner cette liberté totale à mes enfants. Pression interne et externe. Je n’ai jamais senti que l’école fut ma maison. La majorité du temps, j’ai perçu l’école comme une prison physique et intellectuelle. Quand je parle de l’école, je parle des lieux et de l’imposition du cursus scolaire. J’adore apprendre! Paradoxale, non Contradictoire, non. Juste deux entités différentes. Il y aurait tant à dire, à questionner, à concervoir, à changer, à vivre…

  3. Absolument génial!!! Tu as d’ailleurs tout à fait raison, et ce n’est pas pour rien qu’on parle souvent du dogme de l’école!!!

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