Je suis consterné d’apprendre que le ministre Roberge veut généraliser les examens ministériels pour les enfants n’allant pas à l’école. Bien que ce soit maintenant habituel, le fait de confondre « droit à l’éducation » et « obligation d’examen » demeure une arnaque conceptuelle, éthique et pour tout dire d’une bêtise ordinaire crasse. Encore une fois, on se pare « du gros bon sens » du fond de taverne afin de faire passer une contrainte normative pour un droit. C’est une recette éculée du populisme débutant qui fait passer l’obligation pour un droit, la sécurité pour de la liberté, la conformité pour de l’égalité, et la niaiserie pour un projet politique. En France un mouvement de désobéissance civile s’organise contre le mouvement de vis sans fin qui oppresse de plus en plus les familles. Certains affichent leur refus de se conformer à l’injonction ministérielle et font gronder le vent de la révolte. L’heure de la piraterie a peut-être sonné au Québec aussi!
Reproduction environnementale
Depuis Bourdieu, notamment, il est avéré que l’école est un lieu de reproduction sociale qui loin de réduire les inégalités de classes, les cultive, les entretien, les valide. On peut même avancer avec Ivan Illich que » l’école est l’agence de publicité chargé de nous vendre la société telle qu’elle est ». Pourquoi en irait-il autrement des questions environnementales? Je lis un peu partout qu’il y a urgence climatique, catastrophe sur le vivant, invasion du plastique… et bien sûr, chacun peut vérifier que tout cela est malheureusement vrai. Je lis aussi, que l’éducation (souvent ramenée à l’école) serait La réponse à tout ça, comme si les jeunes générations devaient être tenues responsables des erreurs de leurs aîné(e)s. Mais si l’école est le lieu (par excellence?) de la reproduction sociale, sociétale, comment peut elle apporter une réponse nouvelle, à la hauteur des défis environnementaux? Quand un enfant ramené à sa condition d’élève doit passer par l’autorisation adulte pour renverser la table, c’est comme si les sans-culottes avaient dû demander l’autorisation à Louis XVI de faire la révolution. Cela n’a aucun sens et n’est qu’une façon supplémentaire de ne pas trop déranger ceux qui sont à l’origine du problème et qui congrès inutiles après colloques payés de bonnes intentions et de déclarations creuses, continuent de mener la vie écocide qu’il faudrait révolutionner. Encore une fois l’école participe à l’illusion du changement, meilleur moyen de ne rien changer!
Inventer pour grandir
Les enfants sont naturellement inventifs, créateurs. Leur besoin de grandir ne s’arrête pas à des considérations physiologiques. Un enfant grandit en buissonnant, dans tous les sens, il agrandit son espace intérieur en même temps qu’il structure son monde. Sa surface d’interactions avec les autres et l’environnement a besoin d’être sécurisée par des repères, des ports d’attache, des figures stables. Alors l’enfant peut partir à l’aventure. Créer des jeux est une façon de structurer son monde intérieur et de se frotter aux autres dans un espace convenu. Mes enfants créent naturellement des jeux. Cela correspond à leurs besoins. Ils n’ont nulle envie que quelqu’un organise à leur place le processus de création, non plus qu’ils ont besoin de l’injonction adulte de réaliser un projet. Le jeu consiste à créer le jeu de façon libre et autonome. Obliger l’enfant à correspondre au cahier des charges d’une méthodologie de projet en cours dans les milieux industriels est une façon de mettre l’enthousiasme de l’enfant en boîte. Si cela est sécurisant pour l’adulte parce que cela correspond au programme, cette injonction avorte l’énergie vitale du créateur et circonscrit l’enfant au lieu de le laisser grandir. Vous croyez que les enfants ont besoin d’être encadrés par des adultes pour créer? Alors prenez conscience que vous placez l’enfant dans un acte de reproduction sociale et non dans une liberté créatrice. Et enseigner la reproduction n’a jamais permis de réinventer l’avenir!
Climat de révolte, révolte du climat!
J’ai participé à la COP 11 de Montréal en 2005! J’ai également participé à trois congrès mondiaux d’éducation à l’environnement. Pour quels résultats? Le plus honnêtement du monde, je dirai aucun. Notre génération, celle qui m’a précédée et celle qui m’a suivie ont échoué. Aujourd’hui un vent de révolte souffle depuis la prime jeunesse du monde, ils nous montrent du doigt et nous accusent à juste titre. Dans les écoles les comités se réunissent pour savoir si après un vote à mains levées, ajustement avec l’agenda, autorisation de la direction et accord des professeurs, les jeunes auront le droit de faire la révolution le 15 mars entre 13h et 15h30.
Je n’ai aucun conseil à donner aux jeunes en la matière. Si ce n’est de se rendre à l’évidence. Nous avons échoués! Alors croyez-vous que vous réussirez quoi que ce soit au sujet de l’urgence climatique en adoptant nos méthodes, en attendant nos autorisations, nos permissions et nos votes au conseil d’école? Renversez-nous, passez-nous sur le corps, rugissez de toute la fougue de votre jeunesse. Faîtes-le pour vous et aussi un peu pour nous. Inventez le monde que nous n’avons pas su créer pour vous, la révolution n’a pas d’autorisation à attendre! Merci à vous.
Bataille de classe
Il arrive parfois que l’on m’interpelle sur mon vocabulaire batailleur, ma piraterie conceptuelle, mon caractère mousquetaire. Moi-même je me demande si l’univers des jeux de rôle dans lequel baignent mes enfants depuis toujours n’est pas un peu trop guerrier. Haches, épées, boucliers peuplent l’imaginaire de mes garçons. Mais je me méfie plus que tout de la respectabilité des gouvernants, de tous ceux qui appliquent avec un certain détachement et une naturelle décontraction l’oppression quotidienne. Ceux-là s’offusquent des réactions de leurs victimes en employant les mots de respect, de la raison gardée, de leur refus de l’inacceptable violence.
Mais leur violence à eux, leur lutte des classes, leur mépris s’appliquent avec une froideur toute diplomatique, en se parant de la respectabilité la plus enviable. Juges, députés, ministres, comptables, inspecteurs ne font que faire respecter la normalité, l’ordre. La France est en train de généraliser l’instruction obligatoire dès 3 ans avec inspection uniformisée et récurrente. Voilà rien que de très normal, un peu de violence ordinaire pour piétiner la liberté des familles à choisir ce qu’elles voudraient offrir de mieux à leurs enfants et au passage faire porter la suspicion de l’incompétence parentale généralisée.
Alors non, je ne regrette pas de m’armer d’esprit batailleur et d’apprendre à mes enfants à déjouer les évidences oppressives, les leviers les mieux dissimulés du pouvoir. Non mes enfants ne seront jamais trop armées pour faire face à ce monde qui manquera de plus en plus d’espace libertaire.