Nous avons appris cette semaine qu’un cimetière d’enfants autochtones, contenant 215 corps a été trouvé à proximité de leur école, leur pensionnat religieux de Colombie-Britannique (Canada) fermé en 1978 (https://www.lapresse.ca/actualites/2021-05-28/ancien-pensionnat-autochtone/les-restes-de-215-enfants-retrouves-en-colombie-britannique.php).
Ce fait n’est que le dernier rebondissement de ce scandale innommable des pensionnats autochtones ou pendant un siècle des enfants furent arrachés à leurs familles pour qu’entre les mains des prêtres ont puisse « tuer l’indien dans le cœur de l’enfant », selon les consignes officielles. Abus, famines, mauvais traitements ont jalonnés l’histoire de ces pensionnats où plus de 500 prêtres pédocriminels ont été identifiés. Les derniers pensionnats autochtones du Canada ont fermé leurs portes en… 1996!
Ce que nous apprend ce crime est qu’on ne peut juger une institution à sa légalité. Les pensionnats comme la colonisation, la shoah, l’esclavage étaient parfaitement légaux et défendus par les pouvoirs publics. On ne peut pas non plus évaluer une institution à la lumière de ses intentions déclarées quand elles s’insèrent derrière une morale communément admise. Sauver l’âme d’un enfant est, pourquoi pas, une belle intention dans une perspective religieuse.
Ce qui nous révolte aujourd’hui n’est pas la légalité ou les intentions affichées mais bien les actes commis. Voilà donc ce que nous devons apprendre de cette histoire. C’est par ses actes, sa réalité, son dispositif, ses mécaniques quotidiennes et le vécu des enfants que doit s’évaluer une école. Plusieurs questions doivent nous obséder: L’enfant est-il concrètement, quotidiennement respecté dans sa culture, sa langue, son rythme, ses besoins, ses intérêts? L’enfant peut-il contester une autorité qui lui paraîtrait injuste, auprès de qui? L’enfant est-il honnêtement et sincèrement consulté sur son vécu, ses ressentis, quels sont ses leviers?
Chaque époque est aveugle à ses propres erreurs. C’est dans les mots, les sourires, dans la fierté de ceux que nous prétendons éduquer que nous devons chercher la justification de nos dispositifs éducatifs. Seule l’analyse des faits et des ressentis interprétés par ceux qui les subissent peuvent donner à l’adulte une chance de ne pas terminer dans les tribunaux de l’histoire du mauvais côté de la barrière.
Naturellement, nous donnons aux enfants, des rôles, des tâches, des missions en fonction de leurs capacités supposées. En faisant cela les adultes se considèrent capables d’évaluer les aptitudes de l’enfant et se sentent responsable de lui attribuer un rôle à sa hauteur. Et si nous prenions le problème à l’envers? Tentative d’explication.
L’exemple de l’invention du racisme
Si nous avions demandé à un romain du temps de l’empire de représenter un esclave, il aurait fort probablement dessiné une personne blonde aux yeux bleus. Le lien automatique entre les populations noires et l’esclavage n’existait pas. En effet, c’est des steppes d’Europe centrale que provenaient bon nombre d’esclaves de cette période. Le mot « esclave », slave en anglais vient nous rappeler la provenance slave de ces populations esclavisées. À cette époque le racisme tel que nous le visualisons, le comprenons aujourd’hui n’existait pas.
Plus tard ce sont les allégeances religieuses qui constituèrent le marqueur de la différence civilisationnelle. Les fidèles de l’Islam ou de la Chrétienté pouvaient avoir n’importe quelle couleur de peau, ils faisaient partie de la grande famille tant qu’ils se consacraient au culte reconnu. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la différence basée sur la notion de race ou de couleur n’était toujours pas d’actualité.
C’est seulement après la découverte des Antilles puis de l’Amérique par les européens que des populations africaines, ni blanches ni chrétiennes, habitués à la chaleur intense du climat furent recherchées comme esclaves pour travailler dans la moiteur des caraïbes et du sud des États-Unis. Alors que des voix commencèrent à s’élever pour dénoncer l’inhumanité de ce trafic, un discours apparu pour tenter d’expliquer l’inexplicable : ces peuples à la peau noire méritaient leur condition en raison de leur infériorité naturelle! C’est donc au XVIIème siècle que les liens macabres, encore présent dans les représentations actuelles, entre la couleur noire et l’esclavage prit corps. C’est à cette époque que se développa le discours sur les races, leurs aptitudes et leur hiérarchie.
Cette très courte histoire de l’invention du racisme pour nous faire prendre conscience que les populations africaines n’ont pas été esclavisées parce que les blancs les pensaient inférieures à priori comme il est coutume de le penser, mais c’est parce qu’elles ont été réduites à l’esclavage que s’est développé, en conséquence, en guise de justification, le discours sur l’infériorité. On peut donc dire que ce n’est donc pas l’esclavage qui découle d’un racisme préexistant, mais bien le contraire : c’est en quelque sorte l’esclavage des populations noires qui a inventé le racisme envers elles!
Quel lien avec l’éducation?
L’exemple précédent, trop succinctement brossé sans doute, vient nous rappeler que les conditions que l’on impose à un peuple ou à un individu, vont mécaniquement engendrer l’idée, le discours que l’on se fait de ses capacités et justifiant les conditions qu’on lui impose. Tout se passe comme si en autorisant ou interdisant une personne à faire quelque chose, le « maître » développait mécaniquement un discours justifiant l’évidence de cette autorisation ou de cet interdit. Prenons un exemple concret et actuel dans le monde de l’éducation pour éclairer cet automatisme.
Dans les écoles du Québec, et avouons-le dans un grand nombre de familles, les adultes, professeurs, parents, ou personnel du service de garde imposent aux enfants de mettre leur manteau en fonction de ce qu’eux-mêmes ressentent de la température. « Aujourd’hui il fait froid, vous allez mettre votre manteau pour sortir ». En faisant cela les adultes disqualifient les ressentis physiologiques des enfants au profit des leurs. Rappelons qu’il ne fait pas chaud ou froid dans l’absolu mais qu’on a chaud ou froid, et cela diffère entre chaque personne, peu importe son âge. L’enfant n’a pas le choix il doit s’habiller comme l’adulte l’a dit, ce dernier considérant être seul à pouvoir en juger et ainsi prendre la bonne décision.
De fait, l’enfant comprend vite qu’il ne peut jamais exprimer ce qu’il ressent à propos de la température ni se responsabiliser en décidant tout seul de son habillement. Cette entrave, artificiellement, culturellement créée va tant et si bien s’installer dans les esprits comme quelque chose de naturel, que l’enfant sera systémiquement considéré comme incapable de prendre la décision, alors même que l’adulte ne lui en laisse jamais l’occasion.
Il est important de comprendre ici l’enchaînement pervers de la déresponsabilisation. Puisque l’adulte empêche l’enfant de choisir son habillement de façon systémique et systématique, l’enfant sera considéré par ce même adulte comme incapable de décider. Un peu comme si j’interdisais à mon fils d’aller à la piscine sous prétexte qu’il ne sait pas nager. J’intervertirais alors la cause et l’effet. Comment savoir si l’enfant est capable si on tisse autour de lui un univers de déresponsabilisation?
Quelle considération pour l’enfance?
Avez-vous remarqué que dès que l’on dénie à un adulte sa faculté de jugement, qu’on lui ôte certaines responsabilités, qu’on lui retire son pouvoir de décision, il prétend qu’on « l’infantilise »? L’enfant, qui rappelons-le signifie étymologiquement « celui qui n’a pas la parole », est donc considéré dans l’imaginaire collectif comme irresponsable. Nous venons de le voir, la plupart du temps cela n’est pas dû à une incapacité vérifiée mais au seul fait que l’adulte pour des raisons pratiques, organisationnelles, de gestion de groupe, de classe, ne prend pas le temps de donner à l’enfant l’occasion d’exercer sa responsabilité. L’adulte décide de toutes les dimensions de la vie de l’enfant parfois en le poussant à faire la sieste, du judo, ses « devoirs » (le joli mot), ou en l’empêchant de jouer, de toucher, de manger, de choisir. Placé dans cet environnement contrôlant, l’enfant ne prend pas de responsabilité, non parce qu’il le souhaite ou parce qu’il en est incapable, mais bien parce qu’on l’en empêche. L’adulte aura donc beau jeu de le considérer comme irresponsable.
Changer de regard
Il est, je crois, urgent de réfléchir à ces mots poisons que nous utilisons sans y penser pourtant fruits d’un âgisme profond comme « infantilisation », inconscient que nous sommes d’un adultisme systémique. On parlera aussi volontiers « d’enfantillage » quand le mot « adultillage » n’existe évidemment pas. Comment se fait-il qu’à chaque fois que nous évoquons l’incapacité de jugement ou d’action nous prenions pour référence l’enfant comme un être essentialisé emblématique de l’irresponsabilité? Lorsque je fis remarquer à la « responsable » du service de garde de l’école de mon fils que je trouvais anormal qu’elle décide pour lui de son habillement, et qu’elle-même n’accepterait jamais de se faire dire comment se vêtir, elle me rétorqua sans gêne qu’elle n’était plus une enfant. Tout était dit!
Mes enfants n’ont jamais été empêchés d’utiliser couteaux ou allumettes, et dès qu’ils purent les soulever, outils, scie sauteuse, rabots, haches… bien sûr j’étais avec eux, je leur montrais la position adéquate, les gestes de sécurité mais je ne les ai jamais considéré comme inaptes. Nous n’avons jamais eu d’accident. Comme je le ferai avec un adulte, je vais faire preuve de bienveillance, de précaution, je vais me soucier que mon enfant n’ait pas froid, mais je ne m’autorise pas à juger pour lui et à sa place de son ressenti quant à la température. Il en va de même pour les autres aspects de leur vie. Mes enfants ne sont jamais obligés de faire du travail scolaire s’ils n’en voient pas l’utilité, ni même de se présenter à l’école s’ils jugent que leur besoin le plus criant est de dormir.
Cela ne fait pas de mes enfants des petits rois, comme certains pourraient être tentés de le penser. Combien d’adultes décident de faire une pause-café, de manger quelque chose, de se coucher tard ou de faire une sieste, de se lancer dans un projet de maison, de rénovation, de voyage, de passer à autre chose, de s’essayer à la peinture ou au ukulélé sans devoir rendre des comptes? Cela fait-il d’eux des petits rois? Personne ne le croit. Alors pourquoi cela serait si différent pour un plus jeune? Voici ce que m’a enseigné mon expérience : lorsqu’on considère les enfants comme des personnes responsables, équilibrées et intelligentes, ils le deviennent. Il faut le croire pour le voir!
Pour notre premier anniversaire la formation des pirates s’est fait une beauté! En plus des améliorations (sous-titres français et anglais, visuels, animations) nous avons désormais rendez-vous une fois par mois avec les membres pour échanger et répondre collectivement à nos questions. Bienvenue à bord!
Le maître Soufi Sidi Hamza disait que « si les actes que tu poses ne servent pas l’harmonie alors ils ne sont que des agitations qui s’ajouteront aux agitations du monde ». Par ces temps qui toussent, qui piquent, qui distancient, je penne à voir les actes qui participent à l’harmonie du monde. J’entends les mensonges, je lis les résistances, je relève les incohérences comme nous tous mais à l’intérieur de tout ça je cherche comment favoriser la réharmonisation du monde. Et comme il est un peu trop vaste pour moi je me concentre sur ceux que ma bougie éclaire ici ou par correspondance.
Comment faire pour ne pas ajouter au stress de nos enfants, comment ne pas leur imposer la double penne de l’enfermement masqué et de l’injustice de l’enfermement? Comment faire en sorte que la vie trouve les harmonies, les projections. les rêves auxquels se raccrocher? Mes enfants ne sont jamais obligés d’aller à l’école, ils pèsent le pour et le contre et décident s’ils veulent s’y rendre ou pas chaque matin. Cela leur permet d’avoir un sentiment d’emprise sur leur destin, tout ne leur échappe pas, ils peuvent encore décider ce qu’ils pensent bon pour eux-mêmes. Ce n’est pas une solution universelle ou idéale mais cela permet de créer un peu « ces micro-espaces dans lesquels il est possible de s’entendre sur la poursuite du bien » chers à Ivan Illich.
Je fais attention à mes mots, aux nouvelles que je diffuse, aux chiffres que je relais auprès d’eux. Surtout j’essaye de ne pas paniquer quand j’entends qu’en France 40% des adolescents ont eu des pensées suicidaires dans la dernière année (Journal de France Culture du 23 Mars). Alors nous créons des jeux, nous inventons ces lieux où l’on peut rire encore. Le soir je continue à lire des livres à mes deux grands garçons de 11 et 14 ans. On lit des histoires de peur pour conjurer le sort et nous endormir avec le sentiment que nous sommes bien trop forts pour céder au chaos.
Un jour le monde se réouvrira et nous en serons les acteurs, un peu plus aguerris, un peu plus courageux. Nous aiderons à retisser ces reliances qui participent à l’harmonie en nous promettant de ne plus jamais céder aux agitations inutiles.
J’ai passé dernièrement trop de temps à lire les commentaires souvent peu informés des personnes s’opposant à l’éducation sans école sans véritablement en connaître la réalité. Je réponds depuis plus de 15 ans à toutes sortes de remarques, critiques, commentaires si bien qu’il serait extrêmement difficile de me surprendre avec une critique jamais entendue.
En général les détracteurs attaquent en dénonçant le caractère appauvri d’une éducation en dehors de l’école. Manque de rigueur, de contenus, de vie sociale, de la dure réalité de la vie en société, les parents ne sont pas des pédagogues, ils ne connaissent pas tout… Lorsqu’on leur rétorque que l’expérience scolaire est loin d’être parfaite avec ses harcèlements, disciplines, autorités injustes, décrochages, échecs, punitions… les détracteurs changent de discours pour souligner que l’école à la maison ce n’est pas donné à tout le monde, que c’est réservé à ceux qui peuvent se le permettre, qu’elle représente un coup de canif dans l’égalité des chances et l’éducation pour tous.
En somme nous sommes accusés d’offrir une expérience éducative appauvrie réservée à quelques privilégiés! Merci donc de vous mettre d’accord sur les accusations portées. Nous pourrions gagner un temps précieux.