Tout est relatif

Les mini-jupes de Kaboul | Chroniques | Le Quotidien - Chicoutimi
Les mini-jupes de Kaboul

Je ne sais quoi en penser, mais voilà qu’un petit documentaire de la radio publique française (France Culture) avait les meilleurs sentiments pour des écoles clandestines, pour filles, musulmanes, organisées par les parents à l’insu des autorités. Non, non, vous ne rêver pas, le tout était présenté avec le ton de l’espoir, de la saine résistance, de la libération. Les journalistes avaient l’air de trouver l’idée formidable.

Certes, cette école était à Kaboul! Mais j’ai repensé à cette vague mensongère de loi contre le séparatisme visant à interdire aux parents de France d’éduquer leurs enfants sous prétexte qu’il était pêché de se soustraire à l’école de la République. Les ministres de service n’avaient qu’un seul exemple, répété ad nauseam, on a trouvé une école clandestine de filles voilées!

Les familles n’ont eu de cesse de répéter qu’éduquer ses enfants est un droit naturel, et que si un régime autoritaire s’installait en France il trouverait bien pratique qu’aucun enfant ne puisse échapper à sa propagande. Elles ont rappelé au gouvernement que si l’école est obligatoire en Allemagne c’est par une loi hitlérienne de 1939. Mais rien n’y fit, l’État est bienveillant et puis c’est tout! Certes nous ne sommes pas à Kaboul, mais on dirait que ce petit documentaire me laisse un peu songeur. L’histoire a montré que le sauvage, l’oppresseur, le dictateur c’est toujours l’autre, aucun risque que ça puisse être nous. Certes nous avons été tour à tour, esclavagistes, bonapartistes, colonisateurs, pétainistes, assimilateurs… mais ça c’était avant.

Du burn-out au burn-in!

« Consacrer toute notre énergie, être complètement, s’améliorer, faire le bien, le bon… » voilà le genre de propos que l’on pourrait trouver dans n’importe quel livre de management néo-libéral. Ce champ sémantique demeure tout à fait adapté à la recherche de bénéfices financiers, à l’atteinte d’objectifs boursiers, aux volontés de n’importe quel DRH. Ici seul le sujet est différent. On ne parle pas d’économie mais d’une personne. Demeure l’injonction de faire toujours plus, toujours mieux. Même la petite fille qui dessine sur le mur au grand désespoir de sa mère le fait avec une règle pour créer des formes géométriques parfaites. Mais quel enfant dessine comme ça? Comprendre que le bonheur ne réside pas dans la grosse maison, la grosse voiture ou la grosse télé est une première étape. Mais quelle différence y a-t-il entre se donner des objectifs de réussite extérieure et s’accabler d’objectifs intérieurs. L’épuisement professionnel laisse place à l’épuisement d’être soi.

Sous couvert d’humanisme, un dessin comme celui-ci ne fait que reproduire la catéchèse néo-libérale adaptée à la personne, conduisant du burn-out au burn-in. Les buts changent mais l’épuisement, l’injonction, la culpabilité demeurent. Il est temps que le capitalisme du développement nous foute sincèrement la paix. Cessez de vouloir vous améliorer, laissez le balancier trouver son point d’équilibre, ce sera déjà beaucoup.

Besoin d’humanité

Je le reconnais bien volontiers mes posts, articles, livres ne sont pas de tout repos pour ceux qui les reçoivent. Ils peuvent être perçus comme des coups de poing d’interrogation, des critiques un peu tranchantes. Mais au moins ils appellent échanges, discussions, argumentations. Notre époque semble avoir décidé de partager les gens, non comme s’ils n’étaient pas d’accord sur un match écouté ensemble, avec ses analyses, ses partisans, ses commentaires… mais bien comme s’ils n’avaient pas vu le même match, le même sport. Dans ces conditions comment échanger, comment s’enrichir mutuellement? Les discussions semblent appartenir à des paradigmes étrangers les uns aux autres. Cela renvoie chacun d’entre nous à une abyssale solitude.

Tout est devenu, clivant. Les irréconciliables Québec-Montréal au hockey ou Paris-Marseille au football, qui étaient alors vécus comme d’amicales concurrences, comme de rares espaces où l’on pouvait se permettre d’être un peu idiot, partial, aveugle… se sont répendus et aujourd’hui les silos sont devenus des forteresses. Les discussions se sont transformées en outrages où d’éternels agresseurs, complotistes, imbéciles s’adressent à d’éternelles victimes, offensées, sensibles. Les irrespectueux et les irrespectés semblent représenter l’ensemble de la population.

Où sont les cafés, les engueulades entre amis, les réconciliations, les tapes sur l’épaule, les embrassades et les invectives de comptoir. Où sont les franches camaraderies de zinc, les orateurs à la coupe pleine, les César, Panisse… Je m’ennuie de cette tranche d’humanité qui n’offensait personne définitivement et qui, gorgés de pudeur et de fierté, déclinaient toutes les nuances d’une vie sociale.

J’espère que nous saurons réinventer les chemins du désaccord amical, de la dispute bras dessus-bras dessous, de l’invective fraternelle, de la contradiction humaniste, de la colère théâtralisé, du dramatique convivial, de la larme heureuse. Passez boire un coup à la maison, nous avons un monde à retricoter.

Le vélo girafe, symbole scolaire

Je croise souvent dans la rue des parents à vélo, suivis par leurs enfants sur ce genre de dispositif: le vélo girafe. À première vue cela paraît un bon compromis. L’enfant pas encore assez habile ou à l’aise pour avoir son propre vélo s’initie à la route. Je trouve cet instrument typique de la fausse bienveillance de notre époque.

L’ enfant sur sa girafe en forme de vélo ne peut choisir la direction, son guidon est fictif. Il ne peut choisir non plus d’accélérer, de freiner, de s’arrêter. Il n’a aucune recherche d’équilibre à faire, la girafe tient toute seule. Dans ces conditions, peut-on prétendre que l’enfant fait du vélo? Et si ce n’est pas le cas pourquoi cette forme trompeuse, cette fausse promesse aux apparences de vélo?

Quel système ou dispositif peut prétendre être bon pour l’enfant, le conduire à l’émancipation, si l’enfant ne peut trouver lui-même ses propres équilibres, choisir ses directions, adapter son rythme, s’arrêter, repartir? L’école me semble ressembler pas mal à ce « vélo’ girafe, un lieu ressemblant à de l’éducation dans lequel l’enfant ne choisit finalement rien. Quoi qu’il en soit, le « vélo » girafe est un bon entraînement pour l’école. D’ailleurs la plupart des parents qui l’utilisent, y conduisent leurs enfants. Belle cohérence!

Ce que nous apprennent les pensionnats autochtones

Nous avons appris cette semaine qu’un cimetière d’enfants autochtones, contenant 215 corps a été trouvé à proximité de leur école, leur pensionnat religieux de Colombie-Britannique (Canada) fermé en 1978 (https://www.lapresse.ca/actualites/2021-05-28/ancien-pensionnat-autochtone/les-restes-de-215-enfants-retrouves-en-colombie-britannique.php).

Ce fait n’est que le dernier rebondissement de ce scandale innommable des pensionnats autochtones ou pendant un siècle des enfants furent arrachés à leurs familles pour qu’entre les mains des prêtres ont puisse « tuer l’indien dans le cœur de l’enfant », selon les consignes officielles. Abus, famines, mauvais traitements ont jalonnés l’histoire de ces pensionnats où plus de 500 prêtres pédocriminels ont été identifiés. Les derniers pensionnats autochtones du Canada ont fermé leurs portes en… 1996!

Ce que nous apprend ce crime est qu’on ne peut juger une institution à sa légalité. Les pensionnats comme la colonisation, la shoah, l’esclavage étaient parfaitement légaux et défendus par les pouvoirs publics. On ne peut pas non plus évaluer une institution à la lumière de ses intentions déclarées quand elles s’insèrent derrière une morale communément admise. Sauver l’âme d’un enfant est, pourquoi pas, une belle intention dans une perspective religieuse.

Ce qui nous révolte aujourd’hui n’est pas la légalité ou les intentions affichées mais bien les actes commis. Voilà donc ce que nous devons apprendre de cette histoire. C’est par ses actes, sa réalité, son dispositif, ses mécaniques quotidiennes et le vécu des enfants que doit s’évaluer une école. Plusieurs questions doivent nous obséder: L’enfant est-il concrètement, quotidiennement respecté dans sa culture, sa langue, son rythme, ses besoins, ses intérêts? L’enfant peut-il contester une autorité qui lui paraîtrait injuste, auprès de qui? L’enfant est-il honnêtement et sincèrement consulté sur son vécu, ses ressentis, quels sont ses leviers?

Chaque époque est aveugle à ses propres erreurs. C’est dans les mots, les sourires, dans la fierté de ceux que nous prétendons éduquer que nous devons chercher la justification de nos dispositifs éducatifs. Seule l’analyse des faits et des ressentis interprétés par ceux qui les subissent peuvent donner à l’adulte une chance de ne pas terminer dans les tribunaux de l’histoire du mauvais côté de la barrière.