Si l’on veut comprendre comment s’exerce la discipline scolaire et particulièrement à l’intérieur de l’école alternative que fréquente mes enfants, il faut porter un regard à la Foucault sur les rouages de l’autorité. Bien sûr il y a les règlements et sanctions, mais ceux-ci ne constituent qu’une marginalité dans l’exercice du pouvoir. La compartimentation du calendrier et de l’emploi du temps journalier, le respect des horaires, viennent épouser la répartition de l’espace clôturé en autant de micro-lieux spécialisés qui ont chacun leurs règles et leurs exigences. La consigne lie l’enfant au pinceau, au crayon, au ballon et le pouvoir vient se glisser entre chaque millimètre de l’enfant à l’objet, à chaque seconde de l’enfant à son horaire.
Mais le plus intéressant n’est pas là. La prise de pouvoir particulière qu’exerce l’école alternative se fait par ce que précisément elle n’interdit pas. Ou pour mieux dire par ce qu’elle autorise. Par cela l’adulte garde un contrôle absolu sur les périodes de temps libre, sur les horaires de récréation, et en autorisant, l’autorité éducative réaffirme encore plus fortement son droit au refus. Au moindre écart, l’enfant se voit refusé de récréation, refusé ce qui lui était autorisé par l’exercice d’un pouvoir qui ne renonce à aucun aspect de son contrôle. La mise en projet, la mise en groupe, la mise en activité participe de ce droit-obligatoire qu’est l’éducation.
L’enfant n’est donc pas oppressé par un ensemble de règles contraignantes contre lesquelles il serait tentant de se rebeller, mais par l’ensemble d’un dispositif complexe fait, certes d’interdictions, mais surtout d’une découpe toujours plus minutieuse du temps, de l’espace et des autorisations accordées hors de son contrôle. Dans ce labyrinthe de relations l’enfant n’a jamais véritablement le pouvoir sur sa vie, jamais la décision finale, il n’arbitre pas. Ainsi l’enfant se prend au piège d’un fonctionnement auquel il vaut mieux obéir pour espérer profiter des minces autorisations distribuées par l’adulte plutôt que de remettre en cause la relation de pouvoir qu’il subit quotidiennement malgré lui. L’école lui dit « obéis et tu seras libre de la liberté que je daignerai t’accorder, désobéis et tu n’auras même pas ça »! Ainsi le pouvoir arbitraire de l’adulte se garde à l’abri de toute remise en question fondamentale. Voilà, paraît-il ce qu’il convient d’appeler en ce monde un « espace éducatif » qui donnera des enfants libres et autonomes!
La résistance éducative consiste à mon avis à décortiquer ces processus disciplinaires pour que l’enfant n’en soit pas dupe, qu’il ne se laisse pas happer si facilement par les facilités de la servitude, par les promesses de la classe dominante. Je ne pense pas qu’il y ait quelque bénéfice que ce soit à s’habituer à obéir à une autorité n’ayant pas démontré le bienfondé et la pertinence de son pouvoir.