L’école est une église (5/5) suite et fin

Convertir le païen (5/5)

J’ai passé une grande partie de ma vie à m’interroger sur les systèmes prétendument éducatifs. J’en suis arrivé à la conclusion que l’école est une église. Mais si l’église exige obéissance, fidélité et soumission elle a au moins le mérite d’annoncer clairement à ses fidèles tant les exigences de sacrifice que le caractère impénétrable de sa promesse. L’école au contraire peine à avouer qu’elle n’a aucune idée de la vie qu’auront les enfants, ni même du monde qui sera le leur et auquel elle prétend les préparer. Si la plupart des enfants passent par l’école, je me plais à penser que ceux qui porteront haut les couleurs de la liberté seront les enfants qui n’auront pas laissé l’école passer par eux.

Ainsi la foi à l’intérieur de la paroisse va bon train. Mais comme toute croyance, elle ne se contente pas d’entretenir ses fidèles, elle déploie un prosélytisme efficace afin d’amener à elle les mécréants. Les pays où la scolarité n’est pas encore totalement établie se voient qualifiés de pays sans éducation. Les mots « école » et « éducation » sont devenus interchangeables comme si l’école était le seul espace d’apprentissage. Pourtant comme le montre plusieurs penseurs dont Scott, Gray ou Goldsmith, la sédentarisation des peuples vernaculaires a entraîné un appauvrissement des connaissances générales notamment en ce qui concerne la diversité des connaissances environnementales. Mais surtout la seule valorisation des parcours scolaires et de ses diplômes opérant à la manière d’un racisme épistémologique (Thésée) disqualifie les savoirs autochtones, les connaissances paysannes, les gestes experts et souvent millénaires des traditions. Et même si l’école ne représente qu’une anecdote temporelle dans l’histoire des peuples elle s’impose comme la seule valable, et distend les solidarités entre des générations qui ne se comprennent plus.

Pour l’école il ne s’agit pas de cohabiter avec les savoirs traditionnels, il s’agit d’éradiquer l’illettrisme présenté comme le mal avec lequel on ne peut transiger. L’autorité de l’école en la matière est d’essence divine et est animé de la même foi qu’un jésuite parti évangéliser les païens. Ainsi, l’emprise de la croyance s’étend non seulement sur ceux qui y adhèrent mais aussi sur le très jeune enfant censé être ravi d’entrer enfin à la « grande école », sur l’aîné qui regrette de ne pas eu avoir accès aux études, sur le berger, le nomade, le paysan du bout du monde dont la scolarisation devient le mètre étalon. Et ainsi, par effet de tâche d’huile toutes les sociétés se voient sommées de se définir en rapport avec l’école. Même quand un parent décide de ne pas y envoyer son enfant il fait « l’école à la maison », il se qualifiera lui-même de « homeschooler », « unschooler » à l’instar du mécréant (mauvais croyant) ou de l’incroyant trouvant une définition de lui-même au regard de la croyance des autres. Même dans son organisation interne, les programmes scolaires et les évaluations envahissent les classes maternelles jusque-là épargnées et ainsi la foi scolaire se répand par capillarité, par densification, par colonisation des peuples, des idées, des esprits et assoit un règne sans partage.

Le système scolaire vécu comme une religion sociale n’oublie certes pas d’entretenir la ferveur en exposant régulièrement ses martyres et ses saints de la foi. Tel enfant marche tous les jours 20 km pour rejoindre son école, celui-là traverse une rivière dans l’Himalaya sur un pont incertain pour retrouver sa classe quotidiennement, tel autre porte son frère sur son dos depuis six ans pour lui permettre d’aller en classe… Dans tel pays en guerre, des professeurs héroïques maintiennent les cours où les enfants écrivent à même le sol, dans un autre une professeure itinérante vient donner des cours dans les camps de réfugiés… Et ainsi on célèbre l’indéfectible foi de ces porteurs de la bonne nouvelle comme à l’époque, le courageux évangélisateur des peuples païens bravant les barbares, croix en main. Tout cela contribue à un environnement idéologique qui persuade l’enfant des pays riches et en paix sur son propre territoire de la chance qu’il a de pouvoir accéder à « l’éducation » si facilement. Régulièrement les magazines pour les jeunes proposent des reportages de ces écoles du bout du monde et vantent le courage et la persévérance des fidèles.

À l’inverse, les partisans d’une éducation sans école sont combattus comme les tenants d’une foi concurrente et qualifiés d’intégristes, de sectaires. À la vérité, il n’est pas aisé de se battre contre une idée positive, de se délivrer du bien en quelques sortes. L’école déploie toute une catéchèse positivée où les punitions deviennent des rattrapages, les notes sont des couleurs où des points cardinaux. On vante « la possibilité de faire des projets » là où il y a injonction pour l’enfant de mener un projet en suivant une méthodologie imposée. Mais ce vocabulaire édulcoré fonctionne suffisamment pour laisser apparaître l’école comme un bienfait. Qui donc aurait l’indélicatesse de s’opposer à la vertu, de combattre le royaume des bienheureux, de la félicité? Ainsi le système scolaire génère ses propres défenses immunitaires et rend toute attaque sur ses fondements extrêmement difficile dans le cadre d’une discussion courante, d’une conversation de famille, d’un rapport de voisinage. Le paradigme dominant porte en lui ses propres anticorps.

Au cours de l’histoire de la pensée, dans les siècles où la foi ne pouvait être remise en question, des chercheurs, philosophes, astronomes devaient systématiquement placer leurs découvertes dans les croyances imposées de leur époque. Ainsi Galilée, Averroès ou Newton ne pouvaient en aucun cas établir leurs travaux en dehors de la religion dont se prévalaient les gouvernants et on peut voir avec des yeux athées toute les circonvolutions que cela leur a values pour avoir l’autorisation de publication. De nos jours on peut critiquer « l’école telle qu’elle est aujourd’hui » la comparer à celle qu’elle devrait être, pourrait être, on peut la souhaiter comme ceci ou cela, mais en aucun cas remettre en cause la pertinence de son existence. Ce n’est pourtant pas interdit et aucun bûcher ne menacerait l’auteur téméraire mais l’excommunication de l’assemblée des chercheurs, la mise aux bans de la société éducative, l’exil ou la galère sont promis à l’auteur imprudent.

Vivre en dehors de la foi scolaire engendre aujourd’hui la même marginalité, les mêmes errances que celles réservées à l’incroyant d’hier. Aucune aide publique, aucun service n’est fourni aux enfants s’éduquant en dehors de l’école. L’État est laïc sur la question religieuse mais il est bel et bien un fidèle acharné de son propre système éducatif.

Ainsi, malgré des résultats contestables, l’enfermement généralisé de l’enfance sous l’autorité sans partage des adultes, accompagné d’une liturgie positivée porté par l’enthousiasme sans critique des croyants tissent une foi solide. Que certains enfants vivent de la phobie, soient victime d’abandon scolaire, enregistrent surmenage, épuisement, stress, intimidation allant parfois jusqu’au suicide, que l’école les rende malade, démotivé, tricheur, paresseux, que les adultes ne fassent pas souvent le lien entre leurs études et leurs activités professionnelles, qu’ils ne se souviennent que d’une infime part des connaissances transmises, qu’ils peinent le matin à réveiller leurs enfants et le soirs à encadrer leurs devoirs, que toute la famille subisse le rythme, les injonctions, les caprices ou oppression de tel professeur ou de tel directeur… cela n’a aucun effet sur la foi. « La vérité n’a rien à voir avec le nombre de gens qu’elle persuade » disait Michel Serres. L’école reste le lieu de la communion sociale et ne pas y aller serait comme manquer la messe, à proprement parler, inimaginable!

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