Conférence et piraterie

La rentrée s’annonce compliquée! Et si on se préparait plutôt à la non-rentrée? Voici pour cheminer ensemble la conférence que j’ai donné à Montpellier cet hiver dans le cadre du Congrès Innovation en éducation. . Pour une non-rentrée sereine je vous invite à rejoindre le navire des pirates de l’éducation. Au plaisir de vous y retrouver, bienvenue à bord!

Éducation sans école et parents séparés: l’argument de normalité comme ligne de fuite

Cela fait longtemps que je voulais écrire sur l’aventure des enfants ayant vécu une éducation libre d’école durant des années mais dont le mode de vie est remis en question par l’un des parents à l’occasion d’une séparation.

Bien souvent les deux parents et leurs enfants en Ief se plaisent à mettre de l’avant les avantages, les bonheurs, les voyages, les apprentissages libres et les expériences originales qui font la trame des éducations libres. Ce mode de vie, certes marginal, constitue une identité, une marque de reconnaissance, une façon d’être au monde et d’interagir avec lui. Mais toute marginalité est exigeante, elle demande une intensité intérieure, une force de caractère et parfois un des parents craque et rêve d’une vie « normale ». D’autres fois la séparation se fait pour d’autres raisons, mais à cette étape la liberté éducative est bien souvent remise en cause.

S’il n’y a pas d’entente, qu’un des deux parents souhaite continuer à offrir la liberté éducative à ses enfants et l’autre non, alors les discussions s’enveniment, on fait appel à un conciliateur, un avocat et on finit au tribunal. Un tribunal est un temple dédié à la conformité, chaque acteur est le garant de la stabilité sociétale et il est rare qu’un juge, bon élève en droit, premier de la classe d’une institution conservatrice accueille avec enthousiasme la marginalité éducative.

Faire valoir devant un tribunal les insuffisances de l’école, les taux d’illettrisme, de décrochage, d’intimidation, d’échec… ne sert souvent à rien, l’institution judiciaire n’est pas là pour juger l’institution scolaire. Le parent souhaitant scolariser n’a qu’à se prévaloir de la normalité: un enfant ça va à l’école! Cet argument d’une extrême pauvreté fait souvent mouche auprès d’un juge forcément bon élève. L’autre parent cherche à mettre de l’avant les mille et uns avantages du temps libre, de l’espace libre, de la découverte du monde… mais ça c’est pour les vacances.

Le seul argument qui puisse avoir son poids est la continuité, le maintien du cadre de vie des enfants, la stabilité éducative, mais dans une famille en train de se déchirer l’argument est maigre. La croyance dans les bienfaits du système scolaire relève de la foi et dans le doute il vaut toujours mieux placer les enfants sous la protection de notre saint ministère de l’éducation, qui éclairé par la lumière divine saura quoi faire avec eux.

Dans mon cas je suis arrivé au tribunal en 2018 avec un jugement préalable qui avait provisoirement ordonné la non scolarisation des enfants (2016), un autre jugement (2017) qui m’autorisait à voyager avec eux sans l’autorisation de leur mère, un rapport d’enquête psycho-sociale (2017) ordonnée par le tribunal (enquête de plusieurs mois effectuée par une travailleuse sociale auprès des parents, des enfants, des associations culturelles et sportives que fréquentaient les enfants) et qui in fine recommandait de suivre la volonté des enfants et conseillait qu’ils n’aillent pas à l’école! En plus bien sûr de 12 ans sans école pour mon aîné et 9 ans pour le cadet, de mon expérience et de mes diplômes de haut niveau en éducation.

La mère est arrivé avec pour seul argument la normalité scolaire. Et la juge engluée dans sa conformité a envoyé mes enfants à l’école! Fuite en avant d’un système qui se mord la queue et qui entérine ses propres insuffisances de ministères incompétents s’auto-justifiant par effet de miroir.

J’ajoute que dans les habitudes populaires la mère garde une forme de priorité sur les questions éducatives, le fait d’être le père est souvent un désavantage a priori. Dans les rancunes personnelles les accusations peuvent voler bas et il se peut que le procès tourne au poker menteur bien plus qu’au jeu de la vérité.

Mon discours, j’en suis conscient n’est pas très optimiste, mais il témoigne d’une réalité telle que je la perçois et tant que nous n’aurons pas une jurisprudence pour enfin appuyer la liberté éducative, l’école restera la norme, l’autoroute de la fuite vers une éducation scolaire en plein naufrage dont les événements des derniers mois ont montré toute l’inconsistance.

Entrée ou rentrée, petite explication de texte

Parmi les mots prononcés sans y penser, véhicules de la mentalité ordinaire, du qui va de soit, on parle souvent de « rentrée scolaire ». Or une « rentrée » signifie un retour (entrer à nouveau) souvent à un état de stabilité, un retour à la normale. On entre dans la boulangerie et dans le bus mais on rentre à la maison, au port, au bercail, on rentre en soi pour méditer… bref « rentrer » indique une familiarité confortable et habituelle.

Dans ce sens l’expression « rentrée scolaire » s’approprie ces significations conviviales et indique à l’enfant que l’école est son port et sa maison, l’endroit où on peut être soi-même, parmi les siens. Cependant, si on admet sans jugement mais avec une certaine clairvoyance que l’école est un endroit normé, hiérarchisé où s’exerce la discipline et le contrôle, la surveillance et la punition entre autres, n’est-il pas pernicieux de faire passer cet état de fait pour une situation confortable et habituelle, pour un chez soi offrant sécurité affective et repères domestiques? N’est-ce pas une façon de normaliser l’horaire et la consigne, la tâche et l’évaluation chers au monde du travail?

Au travail comme à l’école on part en vacances, on ne rentre jamais en vacances, on ne rentre pas en liberté, on ne fait qu’y partir pour un temps provisoire avant le retour à la normale, la rentrée!

Pourquoi pratique-t-on une éducation sans école?

La réponse à la question des motivations est complexe parce que la question est complexe. « Pourquoi ? » cache au moins trois dimensions complémentaires et en oublier une seule relèverait de l’erreur méthodologique pour un chercheur. Par exemple si l’on se demande « Pourquoi madame a eu un bébé? » Il y a des raisons de causalité (parce que le spermatozoïde de son partenaire a rencontré son ovule au bon moment), des raisons de finalité (parce que le couple voulait un enfant) et des raisons de croyances sur l’état des choses (parce que c’est ainsi que l’humanité se perpétue). Les trois réponses sont vraies et complémentaires.

À la question des raisons du choix d’une éducation sans école, trois familles de réponses doivent également cohabiter.

  • Causalité: Parce que les parents n’ont pas aimé leur expérience scolaire, par exemple.
  • Finalité: Parce que nous voulions une éducation ouverte sur le monde en voyageant en voilier, par exemple
  • Croyances sur l’état des choses: Parce que c’est le rôle naturel des parents de s’occuper de leurs enfants, par exemple

Omettre une de ses dimensions ne pourrait donner qu’un travail approximatif. De plus, il existe une hiérarchie méthodologique entre ces trois « pourquoi ». Puisque le choix est souvent à l’initiative des parents dans un premier temps, les raisons de causalité sont les plus parlantes que les autres. Rencontrer et connaître les expériences antérieures des parents est indispensable. Tenter de percer leur système de croyance sur l’état des choses devrait être la deuxième préoccupation d’une recherche. Enfin arrive les raisons de finalité mais qui bien souvent ne peuvent être que spéculatives puisqu’il est bien trop tôt pour vérifier le résultat de l’éducation d’un enfant.

En résumé, si vous optez pour une éducation sans école vous devez faire ce petit travail d’hygiène intellectuelle de comprendre toute la complexité d’un « pourquoi ». À ma connaissance les études réalisées jusqu’ici sont partielles et très limitées. Cette question intime doit être posée dans le for intérieur de chacun.