Quand Thomas Jefferson, irrité par la tutelle britannique, contestant l’inégalité entre les humains et de ce fait la suprématie héréditaire de la couronne, proposa la déclaration d’indépendance, il prit soin d’établir en tout premier que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Pendant qu’il écrivait cela penché sur son bureau d’acajou, quelques 200 êtres humains que l’on nommait alors esclaves travaillaient sur ses terres. Le paradigme est un anesthésiant puissant de la pensée. Il empêche de voir au-delà de ses propres intérêts et ornières. Pour Jefferson, entièrement plongé dans le paradigme propriétariste de son époque, la possession d’êtres humains n’était pas à remettre en question. Même si par la suite il œuvra à faciliter l’émancipation des esclaves en échange du dédommagement de leur « propriétaire ».
En France le ministre de l’éducation veut soumettre les professeurs à un régime de contrôle de la performance, à une exigence de rendement. Bien sûr le corps enseignant s’insurge et se demande comment il serait possible de faire entrer des individus tous différents, œuvrant dans des conditions diverses dans des grilles de résultat et de classement. Comment noter, évaluer toutes les subtilités des relations humaines et des exigences de la vie en classe. Bien sûr, on ne peut qu’être d’accord avec les professeurs. La question se pose pourtant lorsque les enseignants ne voient à leur tour aucun problème à noter, évaluer, comparer, classer, récompenser ou punir ces êtres humains en situation d’enfance qu’ils s’obstinent à appeler élèves. Soumettre donc toutes les subtilités des apprentissages des enfants, toute la diversité des intelligences à des tests, examens, contrôles standardisés leur paraît tout à fait normal pour les moins de 16 ans mais intolérable pour eux.
Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de l’indignation et refuser pour les autres ce que les professeurs ne peuvent admettre pour eux-mêmes? La force du paradigme méritocratique a contaminé bien des esprits. Il serait temps d’y réfléchir.