Le Carré Libre

Le Carré Libre que je suis depuis plusieurs années et qui m’avait fait l’honneur de me demander d’en être un des parrains vit des difficultés aujourd’hui. Son erreur majeure est sans doute d’avoir nommé la liberté dans son nom. Je suis triste de cette situation, de cette époque, de ces injonctions à l’angoisse. Dans les années 70 plusieurs initiatives ministérielles avaient vu le jour comme le Centre d’Expérimentation Pédagogique (CEP) de Florac (il est vrai dans le cadre du ministère de l’agriculture et de ses lycées agricoles). On y promeut encore l’éducation par la nature et le plein air. Mais le monde a changé et la liberté d’obéir semble être la seule qui nous est proposée aujourd’hui!

Ces dernières années il y avait des pressions, des menaces, des mains tendues vers la compréhension d’un certain vivre ensemble où chacun ne peut pas faire tout ce qu’il veut quand même. Et puis les amalgames des écoles hors contrat avec le terrorisme, la radicalité religieuse. Si bien qu’aujourd’hui la normalité passe à l’attaque, elle peut décider qu’elle sait mieux qu’un enfant et que ses parents et toute une communauté s’appuyant sur des décennies de recherches, de publications, d’expériences partout à travers le monde, qu’elle sait mieux que les intuitions des grands pédagogues autant que des résultats les plus pointus des neurosciences ce qui va permettre l’apprentissage! Les premiers de la classe, le recteur et le juge savent!

Comment le savent-ils, on vient de le dire ce sont les premiers de la classe, ceux qui se sont le mieux conformés, moulés, glissés dans le système scolaire classique qui décide que l’alternative n’est pas bonne! Pas conforme!

Je suis en colère!

Une bonne année à toutes et tous

Voilà une nouvelle année! Pour moi ce sera plusieurs livres à vous proposer. D’abord tout début janvier « Au nom du pire » (Ed. le Hêtre-Myriadis) un pamphlet un peu sévère sur le fonctionnement paroissial des écoles. Puis en mars « Weedon ou la vie dans les bois » (Ed. du passage), qui relate notre aventure sur les pas d’Henry-David Thoreau dans la forêt québécoise. Je serai à Pontarlier, Lausanne, Grenoble et Montpellier la dernière semaine de février pour des conférences et des ateliers. Puis il y aura d’autres surprises, d’autres livres en prévision, plusieurs en cours d’écriture. J’espère que toutes ces occasions de rencontre, de partage nous permettrons de continuer à chanter encore plus avant nos odes à la liberté, à la piraterie et à l’amour de l’enfance libre et heureuse. Je vous souhaite une douce et belle année 2020, dans la piraterie joyeuse et créative.

Des nouvelles

Dans l’ordre, Dans un restaurant mongol, Autour d’un jeu de Toc. Sur les pistes de ski. En dédicace au salon du livre

Vous êtes nombreuses et nombreux à me demander de nouvelles des enfants, comment ils s’adaptent à leur vie scolarisée, rappelons-le contre leur volonté et la mienne. Voilà donc quelque nouvelles. Les enfants vont globalement bien même si leur rythme chrono-biologique est contraint. Nous adaptons les horaires et ne sommes que très exceptionnellement à l’heure. Les enfants ont découvert l’ennui des longues heures de classe. Ils s’adaptent et apprennent à jouer avec les consignes, à ruser, à se soustraire, à faire semblant d’être intéressés. Ils apprennent aussi à composer avec l’autorité injuste, les fausses manœuvre de concertation. Mais on adapte aussi les semaines. Parfois le besoin de faire des activités physiques, de renouer avec la nature, de découvrir d’autres environnements s’impose. Alors nous faisons l’école buissonnière.

Certains enseignants adhèrent à cette vision de l’éducation, d’autres prennent cela comme la remise en question de leur pouvoir et de leur foi scolaire et ont plus de mal. Mais cela les regarde. Je continue à accompagner les enfants du mieux que je peux. Accompagner les enfants sans cautionner le système de domination scolaire est un jeu d’équilibre. Je m’y exerce encore.

Se désintoxiquer du langage positivé

Il n’est certes pas facile de lutter contre les évidences d’une institution, de la pensée normale, de la conformité bienheureuse. Tout d’abord parce que les personnes qui nous permettraient d’engager la lutte font parfois partie elles-mêmes des institutions tels les juges, avocats, politiques, inspecteurs, professeurs… C’est comme si nous voulions effacer un mot écrit au tableau mais que le seul instrument à disposition soit une craie. La craie n’a aucune idée du concept d’effacement vu qu’elle est faite pour écrire. Maslow disait « Si le seul instrument dont tu disposes est un marteau, tu auras tendance à tout considérer comme un clou » .

.Mais le plus déroutant est d’avoir à lutter contre les trouvailles quotidiennes des institutions qui ont pour mission d’auto justifier leurs choix et s’emploient à priver toute pensée contradictoire du vocabulaire nécessaire à son argumentation. Le néo-libéralisme triomphant a réussi à faire oublier certaines habitudes, des références communes qui avaient pourtant prévalu pendant des décennies. Ainsi les exploités et les travailleurs sont devenus des défavorisés et des employés voire du capital humain. Le monde n’est plus tout à fait le même.

L’école a-t-elle échappée à cette entourloupe langagière? Certainement pas. L’école de la confiance, de la réussite, de l’égalité des chances… fonctionne par méthodologie de projet, dernier avatar du contrôle hiérarchique, puisque les mises en méthode, en buts et en moyens font l’objet de contrôle, de vérification, d’évaluation par l’instance qui s’accorde le pouvoir d’accepter ou de refuser. Les élèves sont jugés sur des compétences, donc des comportements aux critères totalement arbitraires. Les punitions sont devenues des rattrapages, et l’obéissance est devenue le vivre-ensemble, les parents des co-éducateurs. Bien sûr quand je dis à l’école qu’en tant que titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en éducation, libre de mon temps et chercheur, auteur, conférencier international, cela me ferait plaisir d’être co-éducateur et d’aider à penser l’école, on me répond qu’on a besoin de moi pour accompagner une sortie ou pour seconder le professeur dans un exercice ou une séance déjà planifiée. On ne veut pas de ma tête, seulement de mon adhésion au projet d’école et de mes petites mains aidantes.

Finalement, lutter contre les abus d’une institution en utilisant les instances de cette même institution, prisonnier du vocabulaire qu’elle impose, est une entreprise incroyablement énergivore. Personne ne m’en voudra dans ces conditions de trouver la piraterie plus accessible.