Il n’est certes pas facile de lutter contre les évidences d’une institution, de la pensée normale, de la conformité bienheureuse. Tout d’abord parce que les personnes qui nous permettraient d’engager la lutte font parfois partie elles-mêmes des institutions tels les juges, avocats, politiques, inspecteurs, professeurs… C’est comme si nous voulions effacer un mot écrit au tableau mais que le seul instrument à disposition soit une craie. La craie n’a aucune idée du concept d’effacement vu qu’elle est faite pour écrire. Maslow disait « Si le seul instrument dont tu disposes est un marteau, tu auras tendance à tout considérer comme un clou » .
.Mais le plus déroutant est d’avoir à lutter contre les trouvailles quotidiennes des institutions qui ont pour mission d’auto justifier leurs choix et s’emploient à priver toute pensée contradictoire du vocabulaire nécessaire à son argumentation. Le néo-libéralisme triomphant a réussi à faire oublier certaines habitudes, des références communes qui avaient pourtant prévalu pendant des décennies. Ainsi les exploités et les travailleurs sont devenus des défavorisés et des employés voire du capital humain. Le monde n’est plus tout à fait le même.
L’école a-t-elle échappée à cette entourloupe langagière? Certainement pas. L’école de la confiance, de la réussite, de l’égalité des chances… fonctionne par méthodologie de projet, dernier avatar du contrôle hiérarchique, puisque les mises en méthode, en buts et en moyens font l’objet de contrôle, de vérification, d’évaluation par l’instance qui s’accorde le pouvoir d’accepter ou de refuser. Les élèves sont jugés sur des compétences, donc des comportements aux critères totalement arbitraires. Les punitions sont devenues des rattrapages, et l’obéissance est devenue le vivre-ensemble, les parents des co-éducateurs. Bien sûr quand je dis à l’école qu’en tant que titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en éducation, libre de mon temps et chercheur, auteur, conférencier international, cela me ferait plaisir d’être co-éducateur et d’aider à penser l’école, on me répond qu’on a besoin de moi pour accompagner une sortie ou pour seconder le professeur dans un exercice ou une séance déjà planifiée. On ne veut pas de ma tête, seulement de mon adhésion au projet d’école et de mes petites mains aidantes.
Finalement, lutter contre les abus d’une institution en utilisant les instances de cette même institution, prisonnier du vocabulaire qu’elle impose, est une entreprise incroyablement énergivore. Personne ne m’en voudra dans ces conditions de trouver la piraterie plus accessible.
Quand je lis les mots suivants : « ayez confiance » ou « faites nous confiance » ou « école de la confiance », l’image de Kaa (le python du Livre de la jungle) se grave immédiatement dans mon esprit : Kaa est en train d’hypnotiser Mowgli avec le projet de le gober tout cru, il lui sussure en même temps « Aie confiance…aie confiance… »