Depuis l’invention de la propriété chacun sait qu’il y a des intérêts contradictoires entre d’une part les propriétaires, patrons et de façon générale ceux qui détiennent le pouvoir et d’autres part, les travailleurs, employés et tous ceux qui subissent le pourvoir des décideurs. Les intérêts des uns et des autres étant majoritairement divergents voilà pourquoi les droits des travailleurs (syndicat, assurance emploi, maladie, retraites, vacances…) sont le résultat de luttes sociales tenaces.
Depuis quelques dizaines d’années les forces du management cherchent à invisibiliser les intérêts contradictoires. Ainsi des mots comme hiérarchie, discipline, exploitation et même travailleur ont été remplacés par: projet, collaborateur, vivre ensemble, coordonnateur…
Le tout cherchant à laisser croire aux intérêts communs, faisant de la caissière de Wal-Mart une associée à la réussite de l’entreprise plutôt qu’une exploitée syndicalisable.
Cette démarche de négation des intérêts contradictoires est arrivée jusqu’en éducation. Dans l’école de mes enfants, les parents ont reçu une lettre du directeur annonçant que désormais les enfants se déplaceront en rang et en silence mais jamais les mots hiérarchie, discipline, punition, coercition, obéissance ne sont écrits. Au lieu de cela on parlera de (et je cite) « vivre-ensemble, respect, écoute, observation, souhait, sensibilisation, prévention, proposition, co-éducateurs, participation, collaboration ». Une prouesse de novlangue managériale qui frise l’exploit. Chapeau l’artiste!
Suite à cette lettre une réunion avec les parents et les professeurs fut convoquée. Le document préparatoire s’intitulait Les besoins des enfants pour être mieux disposés à apprendre alors qu’il ne parlait que des besoins des enseignants pour le bon déroulement de leurs cours. On pouvait y lire entre autres comme présupposés à la discussion: Besoin de calme dans l’école, besoin de faire confiance à l’adulte lorsque ce dernier intervient, besoin d’être à l’heure à l’école et dans les routines de l’école.
Ainsi les besoins des enfants de courir et jouer deviennent le besoin de calme, le besoin que l’adulte lui fasse confiance est inversé et le besoin de dormir devient celui d’arriver à l’heure. Cette démarche est tout simplement la volonté d’étouffer dans l’œuf l’expression des intérêts des enfants en les noyant dans l’illusion des intérêts non contradictoires imposés par les décideurs afin que les rênes du pouvoir demeurent entre les mêmes mains, tout en donnant le sentiment de la collaboration heureuse. Le management version Wal-Mart appliqué à l’éducation! Et le tout mis en place par des gens se revendiquant comme alternatifs de gauche! Le néo-libéralisme est un totalitarisme invisible utilisé par ceux qui pensent le combattre! Misère.
J’imagine que des personnes qui choisissent de passer toute leur vie à l’école ont éprouvé des bénéfices secondaires à rester dans le rang….
Merci pour cet article délicieux. Continuez, nous avons besoin de vous.
Lisez les très bons articles de Philippe Meirieu. Enfant né du désir des parents, individualisation croissante et revendication de chacun, socialisation plus difficile. Il n’est jamais trop tôt pour apprendre les règles d’une vie en société où chaque liberté entraîne des limites pour que tout le monde puisse en profiter (j’ai la liberté de me déplacer mais pas à 150km/h en ville = mon enfant a le droit de se déplacer mais dans le calme et dans un rang afin de permettre à tous la même chose)…
Bien sûr mon article ne traite pas de déplacement mais des arguments fallacieux des adultes pour contraindre les enfants. La comparaison que vous offrez (voiture à 150 km/h et enfant dans le couloir de l’école) fait partie de cet arsenal. Et si le déplacement en rang permet la liberté de circulation pourquoi ne l’utilisez-vous pas vous même dans les supermarchés, gares, aéroports, rues…?