L’église au milieu du village (4/5)
Il existe mille façons d’être un hérétique et très peu de façons d’être un bon croyant. Les mots, les accords tacites, les calendriers, les acceptations qui font du parent et de l’enfant un membre admis de la paroisse sont codifiés à l’extrême par des années d’évidences allant en se raffinant au fur et à mesure qu’elles pénètrent les consciences. Le nombre de fidèles acceptant et appliquant ces codes avec plus ou moins de facilité au début mais avec ferveur au bout d’un moment tricote l’évidence à laquelle il est inconvenant de se soustraire. Qu’un parent ou un enfant ne se conforme pas aux usages par méconnaissance ou par insoumission et toute la communauté des croyants se mobilisera pour remettre la brebis égarée dans le droit chemin. D’abord avec une poignée de foin, puis avec un bâton avant d’envoyer les chiens.
Il n’y a d’ailleurs pas qu’à l’église que le croyant doit faire montre de sa foi, il doit prouver son engagement à chaque heure de chaque jour. Les devoirs et leçons à apprendre, prières et chapelets scolaires sont à réciter le soir avant de se coucher. Et ainsi toute la vie du paroissien gravite autour de l’église. L’enfant devient l’élève à l’intérieur et à l’extérieur de l’école. Comme l’église, l’école s’impose au milieu du village et de la vie des fidèles.
N’est-il pas surprenant que la direction scolaire demande aux parents d’être les partenaires de l’école? Bien sûr ce partenariat n’a rien d’un partage équitable. Le parent ne sera jamais cantonné qu’à des tâches subalternes, périscolaires comme l’organisation de la fête de fin d’année ou l’accompagnement des sorties. Jamais il ne pourra, à égalité avec la direction, prendre de décisions majeures. C’est oublier qu’un parent, si la vie se déroule sans accident fatal, sera impliqué dans la vie de ses enfants pendant 50 ou 60 ans. Le passage dans une école primaire ou secondaire dure rarement au-delà de quelques années, peut-être 5 ou 6 dans le meilleur des cas. C’est-à-dire 10 fois moins que le temps de vie partagé entre un parent et ses enfants. Bien souvent les adultes peinent à se souvenir du nom ou du visage de tel ou tel professeur. Ne serait-il pas plus évident que l’école soit le partenaire éducatif de la famille et qu’elle essaie de respecter les demandes, volontés, objectifs du mode éducatif que les parents souhaitent pour leurs filles et pour leurs fils? Ne serait-ce pas à l’école d’être un partenaire subalterne, parmi d’autres, des parents?
De la même façon que le curé des villages d’antan faisait régner son autorité sur les paroissiens, l’école dicte la catéchèse éducative et comme le curé, le directeur d’école peut imposer cela au nom d’une autorité qui n’a pourtant rien de rationnel. Car enfin qu’est-ce qui pourrait justifier cette autorité? À l’heure des téléphones connectés, n’importe quel enfant tient dans sa poche bien plus de connaissances qu’un enseignant ne pourra jamais en posséder. Son autorité ne peut en aucun cas s’appuyer sur un savoir qu’il serait seul à détenir et qu’il devrait transmettre. Pourquoi alors accepter de se soumettre à l’autorité de ceux qui n’auraient rien à nous apprendre qui puisse être aisément appris ailleurs? Là encore, seul le système de croyance peut fournir une explication.
Le professeur ne peut plus incarner le savoir comme il le faisait autrefois. Caché derrière sa tablette et son tableau connecté, il incarne plus que jamais la blouse, la règle et la craie, c’est-à-dire la figure d’autorité disciplinante, conformante chargée de fournir les codes admis de la croyance dominante. Le professeur est le garant des rituels bien avant d’être celui du savoir. Ainsi sauf à confondre formatage et éducation je répète que s’il existe plusieurs raisons d’envoyer son enfant à l’école aucune ne concerne son éducation, son émancipation et pour tout dire son bonheur.
On me rétorquera que bien des enfants sont heureux à l’école. Effectivement, comme bien des croyants sont heureux à la messe. On peut être profondément heureux d’être là où d’autres ont voulu que l’on fût. L’ordre scolaire est sécurisant. L’ordre est toujours sécurisant. On trouve dans les écoles et dans tous les lieux de croyance, des gens heureux non pas comme s’ils avaient perdu leur liberté mais comme s’ils avaient gagné leur servitude, pour paraphraser La Boétie. De plus, les chants, les célébrations, la communion des fidèles créent un partage, un sentiment de communauté et rend heureux le participants. On trouve le même type de sentiments dans n’importe quelle foule de partisans, de militants, de manifestants, croyant à la victoire de son camp, se sentant appartenir au bon sens de l’histoire, mais cette satisfaction collective ne dit rien de ses raisons profondes et peut brandir n’importe quel drapeau, n’importe quelle croix.
Pour faire la part des choses il faudrait interroger les valeurs de façon critique mais l’esprit critique n’est jamais saupoudré que dans les limites admises par la croyance sociétale. L’enfant est soumis à une vision du monde faite de soumissions acceptables auto-justifiées. « Pourquoi est-ce important d’aller voter? » lui demande-t-on quand sa pensée critique questionnerait plutôt : « Est-ce important d’aller voter? ». À la fois souterraine et souveraine la croyance scolaire ne demande qu’à être normale pour masquer le fait qu’elle est normative.
La diversité interne du système scolaire est souvent brandie pour justifier son ouverture. Écoles alternatives, programmes axées sur le sport ou les arts et autres cheminements particuliers seraient la garantie du respect des tempéraments et des désirs de chacun. Toutes les religions comptent leurs courants, interprétations, mouvements et branches. Chacun peut apporter la nuance qui convient à sa nature. La diversité est le moyen le plus efficace de s’assurer que la foi n’oublie personne. Tout courant religieux croit en l’existence d’un dieu et loin de relativiser le fondement, la diversité des pratiques suggère inévitablement la réalité divine. L’école dans toute sa complexité n’échappe pas à la règle. L’enfant pourra fréquenter n’importe quelle école pourvu qu’il aille à l’école!