Voici la retranscription d’une partie de l’entrevue que Michel Foucault a accordé à Jacques Chancel. Rediffusée hier sur France Inter! Faîtes-vous le cadeau de lire ces quelques lignes!
JC: Etes-vous favorable à l’enseignement? Vous êtes enseignant!
MF: Je suis un minimum d’enseignant dans la mesure où je fais des cours dans un endroit très particulier qui a pour fonction de ne pas enseigner, le Collège de France. Et ce qui me plaît justement là-bas c’est que je n’ai pas l’impression d’enseigner, c’est-à-dire d’exercer, par rapport à mon auditoire, un rapport de pouvoir. L’enseignant est celui qui dit « Voilà un certain nombre de choses que vous ne savez pas mais que vous devriez savoir, ce qui est la première étape que j’appellerais la culpabilisation. Deuxième étape, ces choses que vous devriez savoir, moi je les sais et je vais vous les apprendre, c’est le stade de l’obligation. Puis quand je vous les aurai enseignées, il faudra que vous les sachiez et je vérifierai si vous les savez. La vérification »
Toute une série de rapports de pouvoirs qui sont inhérents. Au Collège de France les cours sont libres et viennent les écouter les gens qui veulent. N’importe qui, ça peut être un colonel en retraite ou un lycéen de 14 ans. Si ça l’intéresse il vient et si ça ne l’intéresse pas il ne vient pas. De sorte que finalement, quel est celui qui est examiné, quel est celui qui est sous le pouvoir de l’autre, je dirai qu’au Collège de France c’est celui qui enseigne, qui vient, qui raconte, qui passe un examen. Il est payé à longueur d’année et douze fois par an il vient dresser le bilan de son travail, le présenter à un auditoire, et c’est l’auditoire qui dit s’il est intéressé ou pas, en tout cas quand je vais faire le cours au Collège j’ai le trac (…)
JC: En principe à l’école on oblige à apprendre. L’école, on est d’accord, devrait être une fête, on devrait être content d’y aller car c’est le terrain de la curiosité. Il doit y avoir des choses essentielles à apprendre, quelles sont ces choses? (…)
MF: Je dirai que la première chose que l’on doit apprendre, si ça a un sens d’apprendre quelque chose comme ça, c’est que le savoir est profondément lié au plaisir. Il y a certainement une façon d’érotiser le savoir, de le rendre hautement agréable et ça, que l’enseignement ne soit pas capable de révéler cela, que l’enseignement ait presque pour fonction de montrer combien le savoir est déplaisant, triste, peu érotique, je trouve que c’est un tour de force, qui doit avoir sa raison d’être. Il faudrait savoir pourquoi notre société à tellement d’intérêt à montrer que le savoir est triste? Peut-être précisément à cause du nombre de gens qui sont exclus de ce savoir! (…)
JC: Quelle est la responsabilité des parents dans la juste connaissance des enfants?
MF: Je crois que les parents donnent en effet aux enfants une véritable angoisse devant le savoir par l’intérêt même qu’ils portent au savoir de leurs enfants, car ils y mettent leur propre gloire, leur sacrifice, leur propre projet d’avenir, leur revanche également. La pression que mettent les parents sur leurs enfants pour qu’ils sachent est très chargée d’angoisse et les enfants éprouvent cette angoisse très rapidement, l’angoisse des adultes est certainement la chose qu’ils déchiffrent le mieux (…)
JC: Il faut une sanction quand même, et cette sanction c’est le diplôme.
MF: Vous savez le diplôme sert à constituer une valeur marchande du savoir, ça permet également de faire croire à ceux qui n’ont pas le diplôme qu’ils ne sont pas en droit de savoir et qu’ils ne seraient pas capable de savoir. Tous les gens qui passent un diplôme savent pratiquement que ça ne sert à rien, qu’il n’y a pas de contenu, que c’est vide. Mais ceux qui n’ont pas passé le diplôme c’est ceux-là qui donnent un sens plein au diplôme, et le diplôme je crois est fait précisément pour ceux qui ne l’ont pas!