Regard sur l’école alternative

L’intelligence, l’ouverture d’esprit ou la tolérance sont très difficiles à auto-évaluer puisque précisément c’est avec notre propre intelligence, ouverture d’esprit ou tolérance que nous les évaluons. Ainsi il arrive assez souvent qu’une personne fondamentalement raciste se croit ouverte parce qu’elle a un ami étranger selon une imparable démonstration : « Je ne suis pas raciste, la preuve est que j’ai un ami arabe ». L’ami constituant l’exception nécessaire à un racisme sous-jacent. Celui qui ne serait fondamentalement pas raciste ne s’enorgueillirait jamais à propos des origines de ses amis, cela constituerait un non-sujet.

À partir de cet exemple on peut entendre que si certains éducateurs se pensent « cools » avec les enfants c’est précisément parce qu’ils ne le sont pas vraiment. Tenter de démontrer son ouverture éducative en disant que les enfants ont le choix de leurs activités entre telle heure et telle heure, constitue la preuve que l’on trouve normal que tout le reste de la journée les enfants n’aient pas le choix. Celui qui est intimement convaincu du bienfondé de la liberté en éducation ne se vante pas de laisser quelques minutes de choix aux enfants. Il trouve cela évident et ne voit pas là une occasion d’autocongratulation.

On me demande souvent ce que je pense de l’école alternative de mes enfants. Concrètement dans cette école on leur dit « qu’ils sont libres de travailler sur leur projet le matin de 8h à 9h ». À la vérité, ils ont l’injonction de travailler sur leur projet. Le projet devenant en cela le dernier avatar de la relation hiérarchique. La commission scolaire contrôle l’école par son projet d’école, le professeur contrôle l’enfant en le mettant en projet tout en lui faisant croire que cela est le fruit de sa volonté. Lors de la réunion de parents d’élèves, le mot « projet » a été prononcé 42 fois en 1h15 par les professeures. En dehors de cette période, il y a toujours un adulte pour dire aux enfants ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire, courir, marcher, mettre un manteau, parler ou se taire… Que cela soit exigé gentiment n’enlève rien à la relation hiérarchique, l’adulte souriant et convivial ne concède pas un millimètre de son pouvoir sur les enfants. Quand les professeurs me demandent si les enfants sont contents, je leur réponds qu’ils ne peuvent pas être contents d’avoir perdu l’essentiel de leur liberté. Alors les professeurs m’expliquent que dans cette école les enfants sont libres parce qu’on ne les oblige pas à se mettre en rang par classe, parce qu’ils font des projets, parce qu’ils ne sont pas assignés à une chaise. Cela est certes un progrès par rapport aux écoles régulières. Mais en aucun cas un espace contraint, un horaire contraint, un programme contraint et des relations contraintes ne peuvent relever de la liberté. Pourquoi cette école ne réfléchit-elle pas à assouplir ses horaires, à laisser les enfants libres de leurs activités, de leur associations interclasses, pourquoi n’y a-t-il pas une réflexion sur les besoins physiologiques, les rythmes chrono-biologiques, la place du jeu libre ? Les avancées obtenues à la création des écoles alternatives dans les années soixante-dix sont-elles définitives ? N’y a-t-il plus matière à réflexion ?

Je continue à accompagner mes enfants dans ce système dont je vois chaque jour les limites conceptuelles. Je vois que les adultes n’ont pas cessé d’avoir peur de la liberté des enfants, qu’ils ne concèdent aucun pouvoir, aucune perte de contrôle. Ils stressent quand un enfant manipule un outil, grimpe à un arbre, cours dans un couloir… L’énergie vitale de l’enfance ne représente pas un élan créatif mais une angoisse à gérer, un problème à résoudre. Mes enfants se plient à ce système sans y croire, ils vivent cette discipline sans le cautionner, ils patientent et moi aussi en attendant des jours meilleurs.

10 réponses sur “Regard sur l’école alternative”

  1. Merci pour ce merveilleux partage d’une extrême richesse.
    Je viens de vous découvrir à travers ce poste et je me réjouis de d’en savoir d’avantage 🙂

    Merci pour cette ouverture

  2. Même en voulant très fort, nous ne pouvons retirer complètement la relation hiérarchique entre un adulte et un enfant. Même en voulant très fort et en respectant les enfants énormément, il est impossible d’enlever la différence de pouvoir car l’enfant est dépendant des adultes pour prendre soin de lui et répondre à ses besoins de base et ainsi lui apporter la sécurité de base dont il a besoin pour être un adulte. Pousser à l’extrême, ce genre d’attitude amène les enfants à porter le poids des décisions que les adultes refusent de prendre pour eux alors qu’ils sont responsables de lui. Trop tôt cela enferme les enfants dans un rôle d’adulte et paradoxalement cela vole la liberté que l’on voulait leur laisser car tout compte fait, c’est quand même l’adulte qui lui impose sa vision de ce qu’est la liberté!

    1. Effectivement, voilà toute la difficulté de l’exercice. Nous avons très largement développé ces questions dans nos échanges avec Bernard Collot dans notre ouvrage commun: Entre autres… Le chemin des adultes pour libérer les enfants. Merci pour cet ajout de réflexion

  3. Est-ce possible de savoir où vous avez étudié lorsque vous étiez jeune? Et comment avez-vous obtenu vos diplômes?

    Avez-vous écrit pour décrire l’école si ce n’est pas l’école à la maison?

    Avez-vous déjà supervisé ou été animateur d’un groupe de d’enfants?

    Prônez-vous l’anarchisme? Prônez-vous le refus de toute autorité et toutes règles? Si oui, comment vivre dans cette micro société qu’est l’école sans avoir de règles?

    Niez-vous la compétence des enseignants?

    Croyez-vous qu’on devrait abolir l’école? Croyez-vous que tous les parents devraient travailler de la maison, travailler à temps partiel, se consacrer entièrement à leurs enfants?

    Comment entendez-vous ouvrir la discussion avec les membres de l’école de vos enfants? Qu’avez-vous à proposer?

    Léa Lacurieuse

    1. Bonjour Léa,
      L’ensemble de vos questions pose l’école comme une évidence et comme un horizon indépassable. Elles s’appuient sur une méconnaissance quasi-totale des univers éducatifs libertaires (telles les expériences allemandes ou catalanes par exemple), une inculture des projets alternatifs modernes telles les écoles démocratiques (type Sudbury, ou Summerhill, ou l’École Dynamique de Paris par exemple) et sur l’ignorance des principaux auteurs de références (Gray, Illich, Holt, Freire…). Et je comprends qu’à partir de votre observatoire scolaire à l’horizon limité mes critiques puissent vous paraître étranges. Cela dit si vos questions sont sincères et pas seulement un réquisitoire je vous invite à lire mon livre Une éducation sans école. Toutes les réponses à vos questions s’y trouvent.
      Cordialement, Thierry Pardo

  4. Une question m’est venue à la lecture de votre article: pourquoi laissez vous vos enfants dans la prison que vous décrivez ?

    1. Je vous renvoie à mes autres articles depuis le printemps. C’est une décision de justice à la demande de leur mère

    1. les écoles de style démocratique sont actuellement illégales, bien qu’un regroupement (le REDAQ) travaille à faire changer les choses.

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